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De la peur et de sa signification politique

publié le 06/05/2022

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Pierre Taminiaux-Le Cercle noir

Cet article traite du pouvoir de la peur dans la France contemporaine. Celui-ci est exploité en particulier par l'oligarchie néo-libérale pour maintenir son emprise sur le peuple et la société.

Nous vivons aujourd'hui dans un monde de plus en plus régi par la peur. Les diverses stratégies privilégiées par le pouvoir actuel depuis maintenant cinq ans en France permettent de mieux comprendre ce phénomène et son caractère menaçant pour la démocratie. Les nouvelles technologies ont également leur rôle à jouer dans cette situation qui engendre des formes radicales de contrôle psychologique et social. 

Par nature, la peur paralyse l'homme. Elle inhibe sa volonté d'action et d'engagement. Mais elle entraîne aussi une rupture de liens sociaux fondamentaux et un repli sur soi. En ce sens, la peur nourrit les comportements individualistes et provoque une apathie et une attitude de soumission profondes.

Le second tour des dernières élections présidentielles a bien éclairé le rôle de la peur dans les choix de l'électorat. Le fameux 'théâtre anti-fasciste' a ainsi permis de réélire Emmanuel Macron, alors que pourtant, il a été et demeure le Président le plus impopulaire de la Cinquième République. Il a suffi alors de brandir le spectre du fascisme supposé du Rassemblement National pour imposer aux masses un choix qui n'était ni naturel ni enthousiaste. Cette peur du retour du fascisme en France avait déja été exploitée avec succès en 2017. Elle repose sur une construction imaginaire, et non sur la réalité des faits, puisque le Rassemblement National est devenu au fil du temps un Parti de droite presque classique au programme relativement modéré.

Le néo-libéralisme constitue par définition un modèle économique et politique basé sur la peur. Il affirme en particulier une nouvelle perspective sur le monde du travail qui tourne autour de sa flexibilité, un mot technique qui ne peut cacher la dure réalité de la précarité et du sous-emploi. Travailler plus pour gagner moins, et non pas pour gagner plus, comme le prétendent les dirigeants de l'oligarchie, c'est par définition répandre la peur parmi les classes laborieuses en leur imposant l'image d'une insécurité de l'emploi à grande échelle. Le travailleur qui vit en permanence dans l'angoisse de ne pas conserver sa situation et de ne pas pouvoir subvenir à long-terme aux besoins les plus fondamentaux des siens devient ainsi la proie de cette peur qui se propage aujourd'hui dans l'espace social comme un fléau.

Le néo-libéralisme, en ce sens, fragilise l'homme pour mieux contrôler son esprit. Il s'agit d'une stratégie oppressive, car elle force l'homme à concevoir son existence selon le modèle de la seule survie sociale. Celui-ci n'est défini et reconnu alors que par sa capacité d'adaptation à des circonstances toujours plus instables. Une telle condition l'oblige à obéir aux ordres venus d'en haut quels qu'ils soient. Elle étouffe fondamentalement sa capacité d'opposition à l'autorité qui le gouverne. 

Car il est frappant de constater en France aujourd'hui la docilité de plus en plus grande des masses, malgré le mouvement des Gilets jaunes. Seul un peuple docile et soumis pouvait en effet réélire pour cinq ans Emmanuel Macron et refuser donc toute possibilité de changement social et politique, alors que pourtant, ce même peuple a dans sa majorité souffert de la gestion néo-libérale de ces cinq dernières années et en souffrira encore dans les années à venir.

Il existe un précédent historique à cette docilité géneralisée, qui ressemble à bien des égards à de l'indifférence. Il s'agit de l'année 1940, celle où la France dut capituler devant l'Allemagne nazie avant d'accorder les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain et au gouvernement de Vichy. A l'époque, la majorité de la population française accepta sans sourciller ce changement au sommet du pouvoir. Elle ferma ainsi les yeux sur la suspension des libertés individuelles et des lois de la République que ce pouvoir impliquait, au nom d'une illusion de sauvegarde de la nation et de son intégrité.

Les nouvelles technologies jouent un rôle essentiel dans une telle atttitude collective proche de la résignation pure et simple. L'homme enchaîné à son I-Phone et à ses messages et images instantanés, en effet, perd trop souvent le sens de la réalité et est dès lors incapable d'exercer son esprit critique vis-à-vis d'elle. En ce sens, la virtualisation toujours plus grande de l'existence organisée méthodiquement par les élites mondialistes éloigne l'homme de la dimension la plus concrète du politique, celle de l'agora. 

On l'aura compris: plus la peur influence et détermine les comportements humains, moins il y a de démocratie. Toute la politique du Pass sanitaire orchestrée par le gouvernement a ainsi reflété une volonté de contrôle total exercé sur les populations réticentes au vaccin et à l'idée de sa capacité immunitaire. Il s'agissait bel et bien de faire peur à ces citoyens réfractaires en les 'emmerdant' littéralement. Ceux-ci ressentirent alors le poids d'une exclusion effective du monde social, dans l'interdiction, par exemple, de fréquenter des restaurants, des cafés ou autres lieux publics. Dans cette optique, la stratégie de la peur a toujours pour but principal de créer une classe entière de parias qu'il faut bien alors montrer du doigt et surtout punir. 

Une telle stratégie caractérisa de manière répétée les régimes fascistes et totalitaires du XXe siècle. En effet, le citoyen allemand qui, sous le nazisme, osait penser et agir différemment de la masse ne pouvait qu'être exclu de la société. Le système oligarchique en place aujourd'hui en France a donc, dans sa politique sanitaire éminemment autoritaire à la solde des grandes compagnies pharmaceutiques, reproduit cette logique qui façonne la peur de tout comportement déviant et non-conforme au diktat émis par le pouvoir.

A ce sujet, il faut déjouer un mythe trop communément admis, selon lequel la politique de la peur, en France, serait le monopole de l'extrême-droite nationaliste dans sa xénophobie et son racisme présumés. Le rejet de l'autre culturel et de l'immigré, ainsi, serait souverain dans la définition politique contemporaine de la peur collective. Or, mes remarques antérieures prouvent au contraire que c'est l'oligarchie néo-libérale qui est la principale responsable de l'insécurité psychologique commune à notre époque.  

Le regard omniprésent de Big Brother, dans 1984, avait précisément comme conséquence essentielle de répandre la peur parmi l'ensemble de la population. Cette peur suffisait alors à produire un ordre social parfaitement homogène. Elle exerçait une telle emprise sur les hommes que le pouvoir n'éprouvait même pas la nécessité d'un recours systématique à la violence pour imposer ses fins et son modèle politique. 

Car la peur constitue sans doute, et presque paradoxalement, la forme la plus diffuse et la plus insidieuse de violence. Sous l'Occupation, ainsi, elle hanta de nombreux citoyens qui hésitaient par exemple à converser avec leurs voisins par crainte de devenir les victimes d'actes de délation. L'homme en était alors réduit à avoir peur de ses semblables, mais aussi des représentants de l'État, en permanence. De la peur, donc, on passe tres vite à la terreur et à son institutionnalisation par les pouvoirs en place. 

Le néo-libéralisme de notre temps s'appuie dans cette perspective sur les capacités répressives d'un État-policier. Les agressions physiques multiples perpétrées par le gouvernement français contre les Gilets jaunes ont illustré cette réalité de manière indiscutable. Mais par définition, tout État-policier repose sur le pouvoir de la peur qui inclut en particulier la peur du châtiment et de la Loi. La dissidence authentique, dans ce contexte, devient un défi majeur.

Un récent rapport de Freedom House, une organisation américaine spécialisée dans les études sur les droits de l'homme et la démocratie, a montré à cet égard qu'entre 2005 et 2020, la proportion de l'humanité vivant en pays libre était passée de 50 % à 20 %. Une chute aussi vertigineuse de la démocratie dans le monde au XXIe siècle ne peut que nous choquer. Car elle implique nécessairement une propagation inquiétante de la peur et de ses effets politiques à l'échelle planétaire.

Cette chute, la France la connaît également. Elle est certainement le résultat d'une identité de plus en plus monopolistique des pouvoirs économiques, politiques et médiatiques mondialisés qui régissent notre existence. Débarasser l'homme du joug de la peur devient dès lors une tâche urgente qui seule permettra de construire une société véritablement libre et tolérante. 

 

PIERRE TAMINIAUX

Professeur de littérature française et francophone du XXe et du XXIe siècle à Georgetown University. Auteur d'une dizaine d'ouvrages et d'une soixantaine d'articles qui traitent en particulier des rapports entre la littérature et les arts plastiques dans les avant-gardes, dont le surréalisme. Il a également publié trois recueils de poésie, huit pièces de théâtre et a exposé une centaine d'oeuvres d'art (peintures, dessins, photographies) entre la Belgique et les Etats-Unis.

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