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Le nazisme en héritage, cent ans après

publié le 05/01/2023

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Formes brunes sur fond sombre-Illustration de l'auteur

Cet article analyse les similitudes mais aussi les différences entre le nazisme du siècle dernier et les extrêmes-droites contemporaines. Il insiste en particulier sur les diverses crises économiques, politiques et sociales qui favorisent leur développement.

L'année qui débute est marquée en particulier par le centenaire de la naissance du Parti nazi. Un tel événement eut manifestement une portée historique considérable. Je me propose à cet égard d'étudier ici les rapports possibles entre l'idéologie nazie et les extrêmes-droites de notre temps dont le développement constant et surtout global ne peut qu'inquiéter.

Je commencerai par préciser ce qui sépare le nazisme de ces mouvements actuels. Tout d'abord, le nazisme eut comme principal ennemi politique le communisme, alors que les extrêmes-droites du XXIe siècle s'attaquent avant tout aux élites mondialistes. Par ailleurs, le nazisme fut violemment antisémite, alors que ces nouvelles extrêmes-droites ont pour cible principale l'immigration illégale. En outre, le nazisme se définit comme révolutionnaire. Les populismes d'aujourd'hui, par contre, ne sont que réactionnaires, dans la mesure où le XXIe siècle constitue par excellence un siècle post-révolutionnaire, à l'inverse du siècle dernier.

Le nazisme insista sur la nécessité d'un renforcement du pouvoir de l'État, affaibli par la République de Weimar. Le néofascisme, lui, s'attaque par contraste à l'État dont il veut en particulier réduire et même supprimer les programmes de protection sociale destinés aux immigrés.

Le nazisme fut par ailleurs essentiellement païen: il persécuta ainsi les représentants de l'Église catholique et de l'Église protestante allemandes qui s'opposaient à lui. Par contre, la plupart des extrêmes-droites contemporaines prétendent défendre les valeurs chrétiennes de l'Occident menacées par les politiques identitaires. En ce sens, elles ressemblent plus aux fascismes latins du XXe siècle, italiens, espagnols et portugais.

L'extrême-droite d'aujourd'hui s'oppose ainsi aux politiques identitaires d'une certaine gauche woke. De telles politiques n'existaient pas au temps du nazisme, car la gauche de l'époque était dominée par l'idéologie marxiste reposant sur la lutte des classes et non sur celle des races ou des cultures.

Pourtant, les similitudes entre le nazisme et les extrêmes-droites contemporaines abondent. Tous deux sont nés ou naissent en effet à l'intérieur de la démocratie et ont été ou sont élus par le peuple. C'est ce qui détermine l'apparente légitimité populaire de telles idéologies.

Ils sont également la conséquence d'un chaos et d'un déclin généralisés. Cette situation est aujourd'hui en grande partie le résultat de politiques néo-libérales globales et de la dérive ploutocratique des démocraties occidentales. Le principe d'ouverture illimitée des frontières, en particulier, découle d'un modèle néo-libéral qui engendre une immigration illégale débridée contre laquelle les extrêmes-droites s'insurgent. 

Tous deux apparaissent dans des temps de crise d'autorité où les leaders des démocraties occidentales sont souvent faibles et irrésolus. Ils répondent à une telle crise par un discours apparemment antiélitiste, alors qu'il servent en réalité les intérêts des élites économiques. Les extrêmes-droites actuelles sont ainsi en majorité ultra-libérales.

Tous deux expriment un discours d'opposition aux minorités, plutôt que simplement raciste. Les nazis persécutèrent dans cette optique les tziganes, les homosexuels et les handicapés physiques et mentaux. Ils sont donc habités par un mythe de puissance qui mène à l'assaut systématique contre les faibles. Un tel état d'esprit conduit inévitablement à la légitimation de la violence comme mode d'action politique (voir l'attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole à Washington). Ils construisent ainsi l'image d'une société en état de guerre permanent.

Le nazisme et les extrêmes-droites actuelles partagent également un anti-intellectualisme et un anti-humanisme forcenés, qu'on retrouve d'ailleurs dans le néo-libéralisme contemporain. Ils visent la destruction de toute forme d'esprit et de pensée critiques dans un monde où l'homme doit être réduit à un état d'obéissance et de soumission serviles. 'Quand j'entends le mot: culture, je sors mon revolver', disait ainsi Goering.

Ils affirment en outre la souveraineté de la lutte des races et des cultures et étouffent ainsi la réalité universelle de la lutte des classes, aujourd'hui rendue encore plus féroce par les politiques néo-libérales et mondialistes. 

Il faut également souligner dans cette perspective la même complaisance des démocraties occidentales envers le fascisme au XXe et au XXIe siècles, comme le prouvèrent dans les années trente les désastreux accords de Munich. Le soutien inconditionnel de l'Union Européenne et des États-Unis à l'Ukraine illustre aujourd'hui ce phénomène: il présente ainsi comme modèle politique en Europe de l'Est une dictature responsable de la répression et du massacre de milliers de civils dans la région du Donbass et qui est en outre étroitement liée à des mouvements néo-nazis. Les pouvoirs oligarchiques et mondialistes, en effet, préfèrent l'extrême-droite à une gauche sociale et populaire qui constitue leur véritable ennemi.

Dans les années trente et sous l'Occupation, une telle attitude se traduisit en France par la formule: 'plutôt brun que rouge', qui constitua par excellence la logique de Vichy et de la collaboration. Cette formule ne put que séduire une grande partie de la bourgeoisie française: elle engendra ainsi son adhésion au pouvoir fasciste de Pétain. Le soutien unilatéral et obstiné des démocraties occidentales au pouvoir ukrainien ne peut dès lors que troubler l'observateur épris de justice et de liberté. Ses motivations douteuses éclairent ainsi les tendances anti-démocratiques de nos institutions nationales et internationales. 

Le nazisme et les extrêmes-droites actuelles pratiquent en outre la stratégie du bouc émissaire, qui consiste à rendre une communauté particulière (des Juifs aux immigrés illégaux) responsable de tous les maux de la société. Celle-ci permet d'éviter une critique sérieuse et en profondeur d'un système capitaliste néo-libéral qui repose, comme ces idéologies d'ailleurs, sur la loi du plus fort.

Enfin, il s'agit pour le nazisme comme pour les mouvements populistes contemporains d'affirmer un nationalisme radical. Cependant, le mythe d'une nation pure et sans mélange qu'édifièrent les nazis n'est plus concevable aujourd'hui à l'ère du multiculturalisme. Le nationalisme de notre temps, dans cette perspective, ne peut que freiner l'expansion de ce modèle multiculturel.

De toute évidence, les similitudes l'emportent nettement sur les différences dans une telle analyse. Le fascisme se présenta au XXe siècle comme un remède illusoire à des maladies économiques, politiques et sociales graves qui furent en particulier, dans les années trente, engendrées par la Grande Dépression. Il en est de même au XXIe siècle. Nous vivons en effet des temps de crise démocratique où le pouvoir du peuple est confisqué par des institutions abstraites et des oligarchies indifférentes aux souffrances des classes travailleuses. Les inégalités sociales énormes qu'elles provoquent et nourrissent ne peuvent alors que faire le lit des extrêmes-droites. L'effondrement global des classes moyennes et de leur sécurité matérielle, ainsi, pousse de nombreux citoyens même modérés vers ces mouvements populistes. 

Plus il y a de néo-libéralisme, dès lors, plus il y a de néo-fascisme. Une conception radicale du capitalisme, qui repose sur l'hyper-concentration des richesses et le culte effréné de l'individualisme, ne peut que déboucher sur le rejet pur et simple des modèles démocratiques classiques. C'est l'irresponsabilité des spéculateurs de Wall Street qui provoqua à cet égard le Krach boursier de 1929. 

La paupérisation de la classe ouvrière issue d'un tel événement profita alors aux divers fascismes et en particulier au Parti nazi qui se nommait au départ le Parti national-socialiste des travailleurs allemands. Le nazisme, ainsi, se présenta à l'origine comme le défenseur de valeurs communautaires et sociales égalitaires qui lui permirent de tromper le peuple allemand sur son projet politique totalitaire. Seule une vision plus équilibrée et surtout plus juste de la société nous délivrera en ce sens des fléaux actuels dont les sources idéologiques remontent souvent au siècle dernier. 

PIERRE TAMINIAUX

Professeur de littérature française et francophone du XXe et du XXIe siècle à Georgetown University. Auteur d'une dizaine d'ouvrages et d'une soixantaine d'articles qui traitent en particulier des rapports entre la littérature et les arts plastiques dans les avant-gardes, dont le surréalisme. Il a également publié trois recueils de poésie, huit pièces de théâtre et a exposé une centaine d'oeuvres d'art (peintures, dessins, photographies) entre la Belgique et les Etats-Unis.

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