Société
logo

Penser la « smart city » autrement

publié le 01/10/2019

couverture-tribune

Clear Channel

L’avenir de nos villes se réinvente au quotidien, influencé par les nouvelles technologies. Ainsi est né le concept de « smart city », qui préoccupe urbanistes, élus locaux et simples citoyens. Au-delà des fantasmes, que doit-on réellement en attendre ? Analyse des grandes tendances actuelles.

Adossée au monde de la science-fiction, entre Blade Runner et Minority Report, la « smart city suscite l’engouement ou l’effroi. Certains en parlent comme si ce concept permettait de déployer les solutions idéales à tous nos problèmes urbains ; d’autres y perçoivent des visions cauchemardesques d’un univers déshumanisé, robotisé et contrôlé. En effet, la technologie peut permettre d’améliorer la sécurité, de réduire les pollutions ou la consommation énergétique, mais d’aucuns craignent que cela se produise au détriment de notre vie privée et d’une certaine forme de tranquillité. Il convient cependant de dépasser nos affects et d’envisager la smart city autrement : elle est d’abord et avant tout le signe d’un renouveau de modes urbains effacés par la révolution industrielle. Comme souvent, les technologies numériques revitalisent des modes d’existence que l’on croyait éteints. Ici, c’est le cœur de ville fragilisé par la grande rupture fonctionnaliste du XIXe siècle qui réapparaît : une ville dont les rues se limiteront de moins en moins à la circulation, et redeviendront un lieu de rencontres, de flânerie, de loisir, de commerce, d’art et de découverte.

La lenteur

C’est bien connu, nos rues et nos villes ont une histoire. Et cette histoire est toujours déterminée par l’évolution des fonctions que nous prêtions à notre environnement urbain. En effet, le concept même de « rue » a évolué dans le temps. Ainsi, dans l’histoire récente, la notion de rue a connu un infléchissement important pour renforcer sa fonction de mobilité au détriment des autres apports qu’elle fournissait aux citadins. L’ouverture de grandes artères au XIXe siècle, l’éclairage urbain, la chaussée pour les voitures puis les voies de vélo, le trottoir, les caméras de sécurité ont tous eu pour objectif d’accélérer les déplacements et de fluidifier le mouvement. Oubliés la lenteur et la flânerie, les découvertes et les rencontres ! Ceux-ci sont laissés au poète ou aux artistes, des balades urbaines des Fleurs du mal ou du Spleen de Paris aux circuits des situationnistes. Il fallait aller vite, voire « adapter la ville à l’automobile ». L’un des grands apports de la « ville intelligente » est de redonner de la vigueur à la lenteur et à la flânerie. Des espaces consacrés aux « mobilités douces » (comme le vélo ou la marche) sont ouverts. La voiture individuelle va progressivement céder la place à des véhicules partagés. Les abris voyageurs s’équipent et apportent des services et du confort aux passants. De nouveaux mobiliers urbains apportent des informations et des expériences nouvelles, interactives ou médiatiques. Dans la rue de la « smart city », le piéton va pouvoir redevenir badaud : il va à nouveau pouvoir s’arrêter et flâner.

La rencontre

Les centres-villes, surtout dans les territoires, ont été dévitalisés au profit de centres commerciaux périurbains aisément accessibles en voiture individuelle. Mais cette opposition entre centres-villes et centres commerciaux périphériques tend aujourd’hui à refluer et à s’estomper. Les opérateurs de centres commerciaux deviennent des aménageurs urbains et inventent de nouveaux lieux de vie, moins centrés sur la consommation et davantage sur les loisirs : restaurants, cinéma, culture, espaces dédiés aux jeux et aux spectacles vivants parsèment les galeries marchandes. Les spécialistes de la mobilité mettent en place des moyens de transport permettant d’accéder facilement aux quartiers historiques, parfois peu propices à la circulation automobile.. Les élus accompagnent l’installation des commerçants et engagent des politiques de « marketing territorial » afin de faire connaître les nouveaux services de centre-ville. C’est ainsi que, grâce à la « smart city », les centres-villes peuvent retrouver leur fonction première : celle de constituer des agora, des forums, c’est-à-dire des lieux de rencontre, d’échanges et de découverte.

La nature

Ces espaces seront équipés de technologies. Pourtant, celle-ci devrait céder le pas devant une naturalité de plus en plus conquérante. Tours recouvertes de végétation, tendance au jardinage urbain, coulées vertes, retour des insectes, voies piétonnières : la « smart city » est un espace dans lequel la nature reprend ses droits. A contrario, la récente interdiction de la reconnaissance faciale à San Francisco, l’épicentre de diffusion du mythe technologique actuel, incline à penser que l’on pourrait avoir atteint un plafond dans l’utilisation conquérante des technologies. Nul doute que les objets connectés vont bien se disséminer de façon exponentielle dans le tissu urbain ; il n’en demeure pas moins que des limites vont devoir être mises à leur utilisation et à l’exploitation de leurs données.

Oui, la « smart city » sera donc bien dans le futur une ville connectée et dense en données numériques. Reste que certaines tendances, que l’on pourrait trouver paradoxales, sont à l’œuvre : la lenteur, la rencontre et la nature devraient être trois piliers de la ville du futur. 

Philippe Baudillon

Philippe Baudillon, énarque, a mené une carrière diplomatique aux Affaires étrangères et a été membre de différents cabinets ministériels, notamment auprès d'Edouard Balladur et de Jacques Chirac. Il a été directeur général de France 2 (en 2005-2008) avant de devenir, en 2008, président de Clear Channel.

Auteur de Réinventer la "Street experience"

2019 © éditions Hermann. Tous droits réservés.
Nous diffusons des cookies afin d'analyser le trafic sur ce site. Les informations concernant l'utilisation que vous faites de notre site nous sont transmises dans cette optique.