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Cinéma : trop de tapis rouges ?

publié le 18/10/2019

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Collection privée / Détail de l'affiche du Festival de Cannes 2016

La France serait le paradis des festivals de cinéma. Il en résulte un trop plein de prix qui en démonétisent la valeur. Système de reconnaissance intra-professionnelle, version sympathique de l'entre soi, ces manifestations ont des effets divers sur la carrière des œuvres ou des artistes couronnés.

La France est, sauf erreur, le pays qui abrite le plus grand nombre de Festivals, rencontres, rendez-vous de cinéma. Du plus confidentiel au plus célèbre, on en compte plus de deux cents soit un tous les deux jours et cela pour tous les goûts, toutes les saisons, toutes les régions. Et encore, ce recensement difficile à opérer en sous-estime le nombre. Le premier d’entre eux bien sûr demeure le Festival de Cannes, créé en réaction au Festival de Venise de l’Italie fasciste au moment où éclate la deuxième guerre mondiale. Il est très vite suspendu. Il sera repris en 1946 et deviendra, après deux courtes éclipses, la première manifestation cinématographique du monde. Cependant, cet arbre monumental, cache une forêt d’autres festivals dont le nombre ne va cesser de prospérer avec un taux de survie parfois difficile compensé par un taux de natalité exceptionnel. 

Pour ne reprendre que les plus connus, Deauville accueille le cinéma américain, Cabourg les films romantiques, Dieppe le film canadien. Nantes se consacre au cinéma espagnol, Dinard au Britannique et Biarritz à celui de l’Amérique latine. L’Italien se déploie à Villerupt, Annecy et Bastia. Annecy est aussi la référence internationale en matière d’animation et Clermont Ferrand est le rendez-vous incontournable des professionnels du court métrage. Les festivals savent aussi se spécialiser par genre. Le fantastique à Gérardmer, les comédies à l’Alpe d’Huez et la francophonie à La Rochelle, le policier à Beaune, les films de femmes à Créteil, les premiers films à La Ciotat et le patrimoine à Lyon et à La Rochelle. 

C’est que les collectivités locales trouvent plus d’un avantage à ce genre de manifestation pour peu, pour les moins riches, qu’on ne leur demande pas de trop mettre la main à la poche et que l’on recoure au bénévolat. Un festival attire fortement l’attention sur la ville qui l’accueille, fait marcher son tourisme, valorise l’image du maire et de son conseil municipal. Ces édiles appellent de leurs vœux la présence de vedettes de cinéma afin d’intéresser la presse et aussi le public qui constitue les haies d’honneur le long des tapis rouges et remplit les salles diffusant le programme. 

Les artistes ne sont en général pas mécontents de venir dans certains de ces Festivals pour, au motif de lancer leur dernier film, tester leur popularité et s’y faire dorloter. Après tout pourquoi s’en priveraient-ils s’ils sont tant demandés.

Cet enthousiasme français pour les festivals de films comporte nombre de bienfaits pour l’industrie du cinéma. Il entretient l’engouement pour le septième art à la fois médiatiquement et territorialement. Il est un stimulant indifférencié de la fréquentation aussi bien de son niveau que de l’homogénéité de sa répartition territoriale. Il multiplie les vocations pour l’image et le son chez les jeunes qui peuvent trouver ainsi des opportunités d’emploi sans toujours éviter un effet miroir aux alouettes dès qu’il s’agit de création et d’interprétation. Enfin, en drainant des étrangers vers la France, ce mouvement participe au renforcement de son rayonnement culturel.

Cependant, ce qu’il faut bien appeler l’inflation des festivals comporte aussi ses inconvénients.

D’abord, quand ils atteignent un certain écho dans les médias, les Festivals deviennent des rendez-vous plus ou moins incontournables pour lancer un film. Producteurs et distributeurs viennent y capter un effet publicitaire toujours bon à prendre au moment de sa mise sur le marché. Le coût de la participation à ces manifestations vient gonfler le budget de promotion du film sans que les entrées suivent toujours. C’est parfois cher payé le coup de projecteur fugace donné à un film qui aurait pu dans certains cas se suffire à lui même surtout s’il n’est pas primé. Ce surcoût est variable selon l’importance du festival, maximum pour celui de Cannes et non négligeable pour une dizaine d’autres. Le point mort de la distribution s’en trouve déplacé à la marge car les festivals invitant sont loin de prendre tout en charge.

Ce phénomène se vérifie particulièrement si l’on relève que l’inflation des festivals conduit à une multiplication des récompenses qui dans la quasi totalité des cas n’engendre aucun effet positif sur les entrées et passent même inaperçues. La Palme d’or de Cannes, l’Ours d’or de Berlin ou le Lion d’or à Venise ont des incidences très contrastées selon les années sur les recettes des films. Bien sûr ces distinctions ont le mérite majeur de singulariser un film, d’attirer l’attention sur ses artistes au milieu de la quinzaine d’autres qui sortent en même temps que lui. Mais, elles ne garantissent en rien le succès commercial des œuvres couronnées, surtout s’il s’agit de prix du jury ou de la mise en scène, sans parler des prix d’interprétation gratifiant avant tout pour les intéressés.

Par ailleurs, très peu de festivals, comme Cannes ou Toronto dopent les ventes internationales du film. Les récompenses décernées dans les autres festivals sont à peine relevées. Pire, leur prolifération les démonétise. Ils ne sont devenus qu’un système de reconnaissance purement professionnel, une version sympathique de l’entre soi avec des effets variables sur la carrière des différents lauréats.

Enfin, le niveau qualitatif de la production française et européenne notamment est-il suffisant pour proposer à tant de festivals des programmes dignes d’un palmarès ? On peut se poser la question tant la sélection semble dans certains cas laborieuse, voire peu attractive.

Au total, quelques grands festivals apparaissent comme un moyen de faire un état annuel de la production des grandes signatures qui s’y bousculent régulièrement et de quelques jeunes espoirs de la réalisation. Ils constituent une immense campagne de marketing en faveur du septième art, un rappel du cinéma au bon souvenir du public. Les autres manifestations demeurent avant tout un moyen d’animer une activité culturelle locale ou d’y soutenir les activités commerciales. Et pourquoi pas ?  

René Bonnell

René Bonnell a joué un rôle prépondérant dans le paysage cinématographique français. C’est Daniel Toscan du Plantier qui lui propose de prendre en charge la distribution chez Gaumont, où il restera de 1978 à 1982. À partir de 1983, commence la grande aventure de sa vie professionnelle : il participe au lancement de Canal Plus auprès d’André Rousselet qui le charge des questions de cinéma, puis il fonde et dirige Studio Canal. Il raconte ce parcours exceptionnel dans "Mon cinéma de Cannes à Canal Plus" (Balland, 2010). Économiste, on lui doit un livre considéré comme une référence par tous les professionnels du monde de l’image : "La Vingt-cinquième image" (Gallimard, 4e édition, 2006). Écrivain, il a publié plusieurs romans dont "Grande vacance" (Flammarion, 1997), "Le Petit Kant" (Gallimard, 1989), "Hitchcock, roman" (Hermann, 2013).

Auteur de Hitchcock, roman

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