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La dépression "mal du siècle" ou maladie médiatique ?

publié le 13/09/2019

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CC BY-SA 4.0 / Sadness at the beach (Created: 23 February 2011)

Attention aux abus de langage : être déprimé ne signifie pas être dépressif. La dépression est une psychopathologie spécifique, qui correspond à une définition médicale précise. Comment la diagnostiquer et la traiter ?

On parle fréquemment de dépression nerveuse, souvent à tort et à travers. Les médias nous abreuvent d’informations parfois contradictoires, et en définitive nous avons tous l’impression d’avoir une personne plus ou moins dépressive dans notre entourage. Blues, cafard, mélancolie, vague-à-l’âme, spleen, chagrin, nostalgie, tristesse… Autant de termes qui décrivent dans le langage courant un seul et même état d’abattement. La dépression est l'une des affections psychologiques les plus fréquentes. Le taux de personnes dépressives dans la population française est d’environ 15%, dont près d'un tiers n'est pas pris en charge médicalement. Une femme sur cinq serait touchée. 

Tous les sentiments de peine ne sont pas des dépressions. La dépression se distingue de la tristesse par le fait que la personne est incapable de se réjouir de quelque chose, et qu'elle éprouve de grandes difficultés à prendre une décision. Ainsi, tôt le matin par exemple, elle ne sait pas si elle doit se lever ou rester couchée. Elle peut donc passer plusieurs heures au lit, réveillée, angoissée, n’arrivant pas à affronter la journée qui commence.

Cette distinction entre tristesse et dépression peut s'observer lors d’un enterrement, lorsque l'on y participe en étant soi-même relativement peu touché par le deuil. On constate alors comment les proches parents s'effondrent autour de la tombe. Pourtant, si une heure plus tard, au cours du repas de funérailles, quelqu'un parle du défunt ou raconte une anecdote de sa vie, il n'est pas rare que les mêmes proches parents arrivent à sourire, voire à rire. Une telle attitude n’est pas envisageable pour un individu dépressif. Celui-ci est incapable de ressentir du plaisir ou de la satisfaction. Ses émotions positives sont comme «engourdies» (c’est ce que l’on appelle l’anhédonie). 

Par ailleurs, alors que les personnes dépressives ne parviennent généralement pas à organiser leurs pensées, on peut constater que les sujets en deuil arrivent à prendre des décisions rapides et claires très peu de temps après le décès, lorsqu'il s'agit de l'héritage ou des funérailles.

Enfin, il est important de savoir que l’on peut distraire une personne en deuil, mais pas un dépressif. Inutile donc de reprocher à ce dernier son incapacité à se changer les idées, par exemple lors d’une plongée exceptionnelle. Cela ne ferait que renforcer chez lui un sentiment de culpabilité et d’impuissance !

Les symptômes

La dépression se manifeste par une multitude de signes qui varient selon la personne et les moments. En d'autres termes, les symptômes sont assez divers. Néanmoins, de grandes constantes se retrouvent :

● L’altération de l'humeur :

Elle recouvre l'humeur dépressive en tant que telle (la tristesse pathologique), les pertes de l'intérêt et du plaisir à faire les choses (l’anhédonie). Ces symptômes émotionnels peuvent se manifester par des crises de larmes, une hyperémotivité, mais aussi à l'inverse par une abrasion émotionnelle. Ils sont à l'origine d'une douleur morale intense.

● L'anxiété :

Elle est quasiment constante, accompagnant les symptômes émotionnels, et d'intensité variable.

● Les symptômes cognitifs :

On retrouve ici les sentiments de culpabilité et d'auto-dévalorisation, les troubles de la concentration, de l'aptitude à penser ou à prendre des décisions, la fatigabilité, le ralentissement psychique.

● Les idées suicidaires :

Les idées noires et les pensées de mort (idées suicidaires, plans ou tentatives de suicide) accompagnent fréquemment les symptômes précédents. On compte près de 10.000 suicides par an en France et plus de dix fois plus de tentatives de suicide. 30 à 70% d'entre eux surviennent au cours d’un épisode dépressif.

● Les symptômes physiques :

Une perte ou un gain de poids en l'absence de régime, des variations de l'appétit, des troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie), une agitation ou un ralentissement psychomoteur, une baisse de la libido, une fatigue intense ou une perte d'énergie inhabituelle peuvent accompagner la dépression, tout comme des douleurs de dos, des migraines... 

En définitive, l'impact de la dépression sur la qualité de vie des malades et de leur entourage est considérable. Pour la personne déprimée, la vie quotidienne et ses habituelles contraintes deviennent usantes, démoralisantes, fatigantes. Ces contraintes paraissent insurmontables, d'autant que les symptômes de la dépression peuvent produire un cercle vicieux; le repli sur soi suscite une auto-dévalorisation, un sentiment de culpabilité diffuse qui génère lui-même des pensées tristes, d'où un sentiment d'impuissance, le repli sur soi...

En pratique, il est important de retenir deux critères principaux pour pouvoir parler de dépression :

Un critère de temps : les symptômes doivent être présents pendant au moins deux semaines consécutives;

Un critère d’intensité : l'épisode doit être accompagné d'une souffrance marquée et/ou d'une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d'autres domaines importants. 

Comment soigner la dépression

L’un de mes maîtres en psychiatrie disait souvent : «Si toi tu regardes une taupinière au fond de ton jardin, le patient dépressif, lui, va avoir l’impression qu’il s’agit du Mont Blanc !». Et effectivement, lorsque la crise est passée, lorsque l’angoisse s’est apaisée et que l’humeur est revenue au beau fixe, il n’est pas rare que la personne prenne du recul sur son état antérieur et porte un regard critique sur la situation. Mais en attendant ce moment de délivrance, elle n’a pas toujours une vision adaptée d’elle-même, de ses capacités et du monde environnant.

Pour l’entourage, il n’existe pas de «mots clés», de «phrases types». Rester à sa place sans essayer – souvent de manière maladroite – d’endosser un habit de psy, de coach ou de juge, n’est pas chose facile. S’il y a un point qu’il faut retenir, c’est que la personne dépressive ne réagit pas, ne pense pas et ne se conduit pas de la même manière que vous. Comme le soulignent bon nombre de dépressifs à leur entourage, il ne sert à rien de conseiller ou de faire des reproches. Ainsi, l’expression qui revient le plus souvent dans ce type de discussion est : «Tu n’es pas dans ma tête !». Et en effet, en tant que proche, on est constamment en train de penser : «Moi, à sa place, je ferais comme ceci ou comme cela». Et le problème est bien là : on n’est pas «à sa place», on ne peut imaginer le degré de souffrance de la personne dépressive, ni les idées qui lui traversent l’esprit. D’où la nécessité de faire appel à un professionnel, un spécialiste dont la mission est justement de mettre en évidence, d’évaluer, puis de traiter la dépression. 

Pour ce qui concerne la recherche médicale dans ce domaine, les connaissances avancent à grands pas, et ce qui était bon il y a encore 20 ans ne l’est plus aujourd’hui, car les techniques évoluent, les thérapies deviennent plus adaptées, les traitements sont mieux tolérés et plus efficaces, les interactions des antidépresseurs et des tranquillisants sont mieux connues… Il y a donc lieu de diffuser une information actualisée. Et cette information doit bien entendu ne pas être ternie par ce que j’appellerais de faux débats, débats teintés de politique et d’idéologie (exemple : après avoir prôné la «pilule du bonheur» pour tous, voici que les médias nous conseillent de ne plus prendre d’antidépresseurs car ils favoriseraient le passage à l’acte suicidaire, discours plutôt désadapté; autre exemple : après avoir vécu les ‘‘bienfaits’’ d’une psychanalyse de masse [je me souviens d’une période – encore proche – où l’on était mal vu dans certains milieux si l’on n’était pas en analyse], nous voici venus au temps des thérapies brèves et évaluées qui ont prouvé scientifiquement leur efficacité, discours plutôt adapté).

Si vous souffrez de dépression, sachez qu’une issue est toujours possible, mais que parfois il faudra avancer prudemment, lentement, en changeant éventuellement de médicament, de thérapie, voire de thérapeute en cours de route. La traversée du tunnel n’est pas simple, et parfois vous ne vous rendrez pas compte vous-même des progrès effectués. Mais le jeu en vaut la chandelle : la dépression est aujourd’hui dans la grande majorité des cas une maladie dont on guérit.  

Jérôme Palazzolo

Médecin psychiatre libéral à Nice, Jérôme Palazzolo est professeur de psychologie clinique et médicale au département Santé de l’Université Internationale Senghor (opérateur direct de la Francophonie, Alexandrie, Egypte), chercheur associé au LAPCOS (Laboratoire d'Anthropologie et de Psychologie Cognitives et Sociales) de Nice, et chargé de cours à l’Université Côte d’Azur où il est co-fondateur du Diplôme Universitaire de Thérapies Comportementales et Cognitives. Spécialisé en psychopharmacologie et en thérapie cognitivo-comportementale, il a publié de nombreux articles de référence et plusieurs ouvrages traitant des diverses pratiques psychiatriques et des sciences humaines.

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