La censure à l'oeuvre

Freud, Kraus, Schnitzler

Jacques Le Rider
couverture
Une société libéralisée peut-elle renoncer à toute censure ? Même dans les sociétés contemporaines, la liberté illimitée d'expression n'a jamais été instaurée et les opinions déviantes qui mettent en cause la norme du « politiquement correct » sont exposées à un retour en force de la censure. Le cas viennois prouve cependant que, pour la défense des valeurs d'une culture, la censure n'est pas une arme efficace : bien que la liberté de la presse soit un acquis des gouvernements libéraux des années 1860, la censure y était toujours à l'oeuvre ; Freud lui donnait même le beau rôle d'instance régulatrice du processus de civilisation. Karl Kraus, le plus féroce des critiques du journalisme, démontait les nouveaux mécanismes de censure informelle et invisible par lesquels la presse informait ses lecteurs, c'est-à-dire soumettait leur perception de la réalité à un formatage quotidien. Ainsi, la modernité viennoise anticipait les théories de la censure structurale de Foucault et Bourdieu. Cela n'empêcha pas la censure impériale de rompre, en 1912, avec sa propre ligne "anti-antisémite" en interdisant la représentation du chef d'oeuvre d'Arthur Schnitzler, Le Professeur Bernhardi, courageuse dénonciation de l'antisémitisme. Autant dire que la censure s'avère en définitive toujours inefficace et dangereuse, et qu'elle ne pourra jamais servir comme support d'une politique de civilisation.
2019 © éditions Hermann. Tous droits réservés.
Nous diffusons des cookies afin d'analyser le trafic sur ce site. Les informations concernant l'utilisation que vous faites de notre site nous sont transmises dans cette optique.